Le transfert quotidien de nos informations en «mémoire de machine» nous prépare à vivre des autodafés informatiques où, sans crier gare, un gouvernement, un groupe de terroristes et même des hommes d’affaires sans scrupules détruiront les bases de données de leurs concurrents dans le seul but d’augmenter leur pouvoir, de contrôler un secteur d’activité commerciale ou même d’influencer la direction politique d’un pays. Le développement technologique via les satellites et les bandes passantes devient de plus en plus une arme de destruction massive, et ce, d’une façon insidieuse et occulte.
Tous les types de transformations que nous vivons, qu’elles soient générées par des catastrophes planétaires, des changements de paradigmes sociaux ou la pénurie de nos ressources naturelles, provoquent des changements de notre mode de vie et affectent la façon dont nous voulons évoluer. Chaque fois qu’il est question de devenir les «meilleurs», il est sous-entendu de devenir plus performants et donc, inévitablement, plus compétitifs. Pour ce faire, l’homme s’invente des objectifs abstraits à partir d’une vision idéalisée de la réalité et met en application des principes idéologiques à travers une multitude d’activités dont le développement informatique devient inexorablement le milieu incubateur et le mode de diffusion.
Régulariser l’expansion d’un état frontalier par le biais de surveillance satellite effectuée par des drones; entretenir l’existence de «frères ennemis» sur des réseaux sociaux pour accentuer une confrontation entre différentes factions politiques; fragiliser la langue et la culture d’origine d’un pays par de nouveaux produits culturels unilingues ne sont que quelques pratiques du privé comme des gouvernements qui nous donnent le sentiment d’entrer de plain-pied dans la phase dite «Big Brother». Maintenant, avec la nouvelle vague de technologies militaires, il est question de s’approprier très facilement l’information stratégique et, s’il le faut, de détruire les supports magnétiques hypersophistiqués de ses rivaux pour déstabiliser et contrôler leurs activités névralgiques. Cette pratique permet aux ministères de la défense des pays concernés de mettre en place un état policier virtuel permanent en édictant, par exemple, des normes serrées de diffusion des échanges Internet.
S’apercevoir que bientôt les milliers de données recueillies sur les fantastiques avancées de certains secteurs d’activité en biologie, en génétique et même physique nucléaire autant que celles recueillies dans le monde de la grande finance pourront facilement s’effacer, à l’égal des manuscrits brûlés jadis sur la place publique lors d’autodafés, peut provoquer une sorte d’angoisse existentielle.
En 2001, les Américains se sont permis d’éliminer leurs propres données informatiques sur la corruption et la collusion des banques de leur pays en les réunissant dans un seul bâtiment pour mieux les faire disparaître. Emmagasinées expressément dans la 3e tour du World Trade Center à New York, autant les preuves de la faillite d’ENRON que d’autres sur des pratiques douteuses de recouvrements sauvages des hypothèques des cultivateurs de l’Ouest, ont disparu à jamais ce fameux 11 septembre. Cette histoire reste une énigme pour beaucoup, car cette célèbre 3e tour n’était d’aucune façon touchée par les avions ayant percuté les deux grandes tours jumelles. Bizarrement, cette troisième tour ne pouvait absolument pas être détruite sans une aide quelconque. Il se peut que les grands de ce monde réussissent à effacer les traces de leur méfait en prétextant des erreurs de machine, voire des attaques terroristes. La guerre en Irak, qui s’en est suivie, était une façon de détourner l’attention du public sur ces preuves accumulées qui auraient peut-être fait sombrer l’empire financier américain au grand complet.
Que pouvons-nous faire face à ces actions occultes et malveillantes où des gestionnaires et des fonctionnaires, d’un simple clic, peuvent détruire un satellite, diffuser un virus informatique dans un réseau Internet, effacer toutes traces d’un registre et même faire de la désinformation sur n’importe quels sujets compromettants qui pourraient nuire au développement économique d’une multinationale ? Le développement informatique est paradoxalement en voie de faciliter les communications entres tous les citoyens du monde mais, malheureusement il appartient à des groupes organisés se permettant de filtrer, de détourner et même de détruire tout un pan de la réalité politico-juridique pour des objectifs uniquement mercantiles et intéressés.
L’homme cherche à transcender sa condition humaine grâce à ses innovations et à sa vision extraordinaire d’un monde sorti de son imagination tout en se donnant, parallèlement, le privilège de pouvoir contrôler sa mémoire sociale en effaçant systématiquement l’historique de ses erreurs. Face aux très grandes transformations que nous devrons collectivement assumer, et ce, avant même 2020, les autodafés informatiques, comme celui du 11 septembre 2001, seront-ils des pratiques courantes pour nous garder dans l’ignorance et créer une nouvelle arme de destruction massive ?
Michel Delage
Pour réfléchir :
Fabien Deglise «la mémoire du monde dans les mains du privé», Le Devoir, 21 février 2012
Vincent Nouyrigat «militarisation de l’espace. Peur sur orbite» , Science et vie, février 2012 . p.66